7 septembre 2014

La vie en arrêt sur image.

L’hiver est là depuis longtemps, mais c’est la première fois qu’il s’en rend compte aussi nettement. Les pieds dans la neige et les mains dans les poches il contemple son souffle qui s’évapore de sa bouche, avec en arrière-plan la Tamise qui charrierait presque des blocs de glace.

Il a marché toute la journée dans ce Londres qu’il finira par connaître au-delà de son propre quartier. Il s’est perdu, s’est retrouvé vaguement, a lié des endroits avec des souvenirs, des souvenirs avec des impressions, tutti-frutti de sa vie qui ne ressemble plus à rien. Il s’est perdu, dans tous les sens du terme.

Il cherche à avancer mais ne sait pas où il doit aller. Cherche à comprendre mais ne sait pas comment le formuler. En terme de conséquences, ça pourrait être tu es dans la merde.

Il reprend sa marche, ses jambes engourdies commencent à lui faire mal mais il les ignore, il a besoin de se vider la tête, de laisser tourner à vide jusqu’à ce que la force centripète face enfin son boulot. Il avait bien entendu parler de cette soi-disant crise, mais il n’avait jamais réalisé jusqu’où ça pourrait un jour l’affecter. Pourtant il savait bien aussi que la boutique tournait assez mal, les gens préfèrent les grandes enseignes dont les prix sont plus abordables. Il avait bien remarqué la moue de son patron quand il faisait les comptes en fin de journée, et la façon dont il le regardait quand il passait sa pause à fumer dehors. 

Ses godasses un peu usées commencent à prendre l’eau, il avait prévu de s’en racheter une paire, mais la restriction budgétaire à venir va peser dans la balance. Il n’est pas riche, il ne gagne – gagnait – qu’une misère, et l’économie il ne connaît pas vraiment. Il lui reste de quoi payer un mois ou deux de loyer, maximum. Et il n’a pas l’intention de vivre sur le dos de Zach.

Son nom qui s’inscrit dans son esprit lui fait fermer les yeux. Comment le lui annoncer ? Ça peut arriver à tout le monde, certes, mais pas maintenant. Pas juste après qu’il ait fait tant de frais sur sa moto, pas juste après qu’ils aient changé les canapés du salon. C’était vraiment pas le moment. Il sent qu’il va passer un mauvais quart d’heure.

Il fait volte-face pour ne plus voir le fleuve qui le nargue et s’enfonce dans les rues de West End. Il reprend inconsciemment le chemin qui le mène à Soho, là où il officiait une éternité ou deux avant. C’est si loin tout ça. C’était le bon temps. Pas de soucis d’argent, pas d’horaires à tenir, pas de clients à supporter avec le sourire quand il était pas d’humeur. Il était son propre patron.

Mais il ne peut pas. C’est dans le contrat.

Il pousse la porte de chez lui, le nez gelé, les joues engourdies, les jambes endolories. Il n’a pas vraiment réussi à semer ses problèmes. Au moins il lui reste un peu plus d’une heure avant que Zach ne rentre, maigre répit mais répit quand même.

Machinalement il parcourt le courrier des yeux, factures, factures, pub, factures, mais avec quel argent ils vont payer ça ? Et puis une lettre. Personnellement adressée. À lui. Il reconnaît l’écriture.

Il s’assied, surpris, à la table de la cuisine. Il n’ose pas imaginer quelle bombe va lui éclater à la figure quand il l’aura ouverte. Un mort, peut-être. Ou bien une naissance. Un divorce, un remariage, un héritage. Un ultimatum.

Une visite, en fait. Le papier gît sur la table comme un mort dans une tombe, les mots en japonais dansent devant ses yeux. Il a tout bien relu trois fois pour être sûr, ça ne fait pas un doute. Ses parents ont décidé de venir le voir.

Quelle journée, bon dieu, mais quelle journée...

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